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Les bombes et la débrouille, les peurs et les séparations.

Liège, dès 1937, se vit entourée de tranchées et fortifications: entre les forts, les rappels des troupes fréquents, logement chez l'habitant cantonnements les fermes etc., tous les ponts sur la Meuse, minés et gardés par la troupe, l'hiver des braseros pour réchauffer les sentinelles et à chaque pont, des postes de garde occupés.

Les routes d'accès à Liège prêtes à être barrées par des obstacles antichars et des travaux de défense qui furent en mai 1940 bien vite balayés et utilisés plus tard par les allemands aux défenses du mur de l'Atlantique.
Mes deux frères furent de suite mobilisés, un au 12ème de ligne d'infanterie à Evegnée sur les positions, mon autre frère jeune médecin avec le 3ème d'artillerie à Pontice, moi même je fus appelé soldat en février 1940 à Vilvorde au TTR.

A cette date le travail devenait difficile avec les ouvriers ou mobilisés ou en congé, il fallait improviser et faire pour le mieux, on avait demandé à la population des poêles à charbon pour les soldats se chauffer sur les positions; avec mon père nous en avions fourni un à Evegnée.

Dès la mobilisation, la population s'est ruée sur les denrées alimentaires non périssables, sucre, pâtes, huile, savon, farine, etc. La drôle de guerre se déroulait le long des lignes Maginot et Siegfried depuis le 3 septembre 1939.

Les chansons guerrières fleurissaient "nous irons pendre notre linge sur la ligne Siegfried", "mon petit kaki mon petit chéri", "dans un coin de mon pays", etc. Dès le 10/5 à 3 heures du matin, je m'aperçus avec mes compagnons soldats que le pire était arrivé; des 7 heure et demie du matin notre caserne à Vilvorde fut attaquée par les Stukas et notre régiment mitraillé entre Vilvorde et Malines; finalement, je me suis retrouvé, après bien des péripéties, à Castries près de Montpellier en France.

J'ai eu la chance, soldat, de revenir de la guerre le 13 août 1940 jour anniversaire de ma maman, quel cadeau!
Mon frère aîné médecin déjà rentré, était mobilisé à l'hôpital St Laurent, où arrivaient les nombreux blessés de toutes nationalités, mon autre frère prisonnier en Allemagne en Silésie au Stalag 8~ quelle protection être trois frères soldats et en sortir indemnes !!
La ville, à ce moment, à part nos beaux ponts de pierres et notre passerelle, avec ses beaux escaliers, tous sautés et effondrés dans la Meuse; les dégâts causés par leurs explosions, les alentours des forts bombardés et des zones de combat, Liège n'avait pas trop souffert des événements, tout avait été tellement vite.

Nous allions cependant apprendre à vivre sous la botte allemande; au début, avec les victoires ce n'était pas trop dur, mais au fil des mois, les boches plus crapuleux, la résistance s'organisant, la Gestapo, les rafles, les couvre-feux, les déportations, les arrestations, nos fusillés à la citadelle, ensuite le port obligatoire de l'étoile jaune pour les juifs qui disparurent dans les camps d'extermination avec combien de résistants et de patriotes.

Le ravitaillement devint plus difficile, dès 1941 les denrées commencèrent à devenir plus rares, tout ou presque partait pour l'Allemagne, on entrait tout doucement dans le marché noir et le troc, car tout ou à peu près s'échangeait en en gardant une partie; nous pour pouvoir travailler et avoir du charbon, nous échangions la kilos de graisse de bœuf pour 1000 kilos de boulets de poussières de charbon; notre fournisseur la troquait pour du savon et ainsi de suite, chacun y trouvait son compte.

Au ravitaillement, on faisait la file pour tout, certaines personnes y gagnaient leurs vies en faisant la file contre payement. La ration de viande tomba finalement à 30 grammes par jour, le pain devenait gluant et plat, à se demander ce qu'il y avait dedans, un hareng par personne et cela dura car une manne céleste se pêchait en mer du nord, le café remplacé par du malt torréfié, les pommes de terre par les rutabagas, les pauvres fumeurs Dieu seul sait ce que c'était, le lait pour les enfants et les femmes enceintes, les légumes et fruits du pays se trouvaient encore heureusement à volonté à chaque saison.

Pour recevoir ses rations contre timbres de rationnement, la population avait dû choisir ses magasins et s'y faire inscrire, nous avions un nombre impressionnant d'inscrits, nous ouvrions juste le samedi à 9 heures jusqu'à épuisement de la marchandise, et devions coller les timbres de rationnement sur des feuilles spéciales pour les rentrer au bureau du ravitaillement et obtenir une attribution de kilos de viande; les belges ont mangé de tout ... Rien ne se perdait, le travail se faisait en deux jours, les autres jours on attendait des heures entières aux abattoirs pour son attribution.

Les allemands réquisitionnaient les chambres pour loger les sous-officiers, nous en avons eu deux de longs mois.
Avec les mois et les années, les couvertures de lit se changèrent en pardessus, les draps de lit en chemises, les chaussettes raccommodées jusqu'à leurs derniers souffles, les pneus de vélo tournaient en rustines et malgré toutes les restrictions et privations, la population dans l'ensemble, ne se portait pas trop mal, plus d'obèse, de maladie de foie, le cholestérol à cette époque connaissait pas; pour ceux qui en avaient les moyens, le marché noir fonctionnait à plein régime.

Les bombes et la débrouille, les peurs et les séparations.

La neige tombe, les cloches s'envolent.

A cause du mauvais état des pneus, les rares trolleybus étaient divisés en deux compartiments; le devant pour le conducteur et les soldats allemands et séparés par une grille en bois; les passagers comptés à l'entrée pour en limiter le nombre; pour aller par exemple à Chênée, il fallait aller place d'Italie pour monter car une fois rempli, il ne s'arrêtait pas avant Grivegnée.

Tous les moyens de transport des plus étranges firent leurs apparitions, triporteur, vélo avec remorque pour marchandises ou passagers, charrettes à bras, les rares voitures ou camions roulant au gazogène, les chevaux maîtres de la rue ...

L'hiver 1941 - 1942 fut terrible; chutes de neige abondantes et faute de trafic, les rues encombrées de neige, de véritables murets le long des trottoirs. Nos pauvres cloches des églises descendues et emmenées en Allemagne pour faire des canons; à la Cathédrale, lorsque les boches voulurent les prendre, Monseigneur Kerkofs déclara, «j'ai les clefs en poche, il faudra me tuer pour entrer dans la tour» craignant paraît-il des troubles, il n'osèrent par les prendre.

Le Professeur Halkin arriva un jour à l'Evêché avec le grand Rabbin de Liège, il fut aussitôt en soutanné et passa le reste de la guerre à Banneux; de très nombreux juifs échappèrent à la déportation et la mort, grâce à de vrais patriotes qui les cachèrent un peu partout, surtout les enfants.

Que dire des rafles, de la feld gendarmerie, contrôles à toutes heures et lieux de la sinistre Gestapo; heureusement, ceux-ci, on les reconnaissait de loin avec leurs gabardines et chapeaux mous; c'était la peur journalière, malgré mes précautions cela ne m'empêcha pas d'être arrêté et de passer 5 jours en prison à la Citadelle, pour finalement échapper au travail obligatoire en Allemagne, mais forcé d'aller travailler aux conduites d'eau.

A l'usine, un jour me paraissait une semaine, car tout tournait au ralenti, on sabotait la production, j'y ai vu de pauvres types venir travailler avec, pour toute la journée, une pomme de terre, deux tranches de pain infect, deux pommes et trois ou quatre sucres; et moi, qui par mon métier avait encore un peu de tout, je partageais comme je pouvais ce que j'avais, avec mes compagnons directs de travail; cette expérience dura sept mois et sans demander mon reste je n'y suis plus allé sans être inquiété, un patriote a fait le nécessaire pour me barrer des listes.

Les hommes en âge de travail, passaient à la Werbestelle; beaucoup, forcés d'aller travailler en Allemagne, les trains avec ces pauvres types, partaient d'Angleur avec toutes les scènes de pleurs et de séparation, combien ne sont jamais revenus.

Puis vint l'occultation des lumières pour les raids des avions alliés; toutes les fenêtres, dès la tombée de la nuit, occultées de toutes les façons, mais rien ne devait :filtrer comme lumière; si en façade et dans les rues c'était presque total, sur les arrières des maisons, les aviateurs devaient reconnaître Liège surtout avec le fleuve.

Les bombardements alliés sur les objectifs stratégiques commencèrent, des quartiers de la ville lourdement touchés, Fragnée, Kinkempois, Sclessin, Cointe, etc., que de victimes et de malheurs !

Les avions, pour brouiller les radars, lâchaient des rubans métallisés, c'était curieux de les voir atterrir dans les rues, sur la fin avant la libération, même de jour les avions passaient en très grand nombre, au-dessus de la ville et il faut bien reconnaître, avec les dégâts et les nombreuses victimes, la population en partie et excitée par la propagande nazie, n'était pas tellement d'accord.
On écoutait en cachette et en sourdine l'oreille collée au poste, radio Londres, pour essayer d'avoir des nouvelles; c'était curieux les phrases étranges émises pour la résistance. C'était autant de renseignements ou d'ordres transmis, un exemple "la confiture est trop cuite", aller savoir ce que cela voulait dire et pourtant certains le savaient!

Toutes les caves des maisons étaient reliées entre elles, par des percées dans les murs en plusieurs endroits; de nos caves, on aurait pu avec chance s'échapper jusqu'au quai Orban ou rue Libotte; comme chez nous le plafond était fait de petites voûtes solides, on les avait étançonnées avec des troncs d'arbre et installé des lits, vivres, eau, sable, pelle, pioche, etc., on pensait comme cela pouvoir échapper, en cas de coup direct ou de panique ... Toutes ces précautions furent surtout utiles lors des chutes des VI car Longdoz fut épargné des raids aériens.

Pour essayer d'éviter les sabotages des voies de chemin de fer, je fus avec pas mal d'autres obligé d'aller me balader de nuit sur les rails entre Longdoz et Cornillon; croyez-moi, ce n'est pas facile ni surtout très gai.
Quatre jours après Bruxelles, vint enfin la libération; je suis resté des heures à plat ventre dans la corniche à rue de la maison, pour regarder passer sur l'autre rive les tanks américains, le centre ville libéré 24 heures avant la rive droite de la Meuse. Le bâtiment des téléphones rue de la Régence brûlait, des engins téléguidés avaient fait d'énormes dégâts et victimes au cadran à Fontainebleau et au pont de Chênée; les drapeaux belges flottaient, sortis de partout et confectionnés de toutes les façons.

Au bout de la rue Grétry, en bord de Meuse, un fortin allemand, les tanks américains en roulant tiraient dessus, un obus explosa dedans y causant morts et blessés; de ma corniche, je les ai "'11 sortir, un autre obus explosa sur un poteau d'éclairage du pont de Longdoz, inutile de dire si j'ai déguerpi de mon poste d'observation.

La neige tombe, les cloches s'envolent.

La victoire change de camp.

Les soldats allemands en retraite tiraient sur tout ce qui paraissait aux fenêtres et volaient tous les moyens de transport vélos, charrettes, etc . Nous fûmes libérés le lendemain, les américains arrivaient par Chênée et Grivegnée, nous jouions belote dans la cave, on entendit crier "voilà les Américains", longeant les murs, le doigt sur la gâchette, ces soldats étaient impressionnants, du jamais vu, uniformes légers et sportifs, souliers en caoutchouc; les tanks au milieu de la rue et pris d'assaut par la foule en délire, quelle tète, un des plus beaux jours de ma vie; un soldat SS se suicidait au coin de la rue Libotte pour ne pas être prisonnier, on le transporta dans la cour du collège dans notre charrette à bras.

La foule était en délire, embrassant les soldats, fleurs, etc.; cela dura des jours, moi à peine libéré, j'enfourchai mon vélo pour aller aux nouvelles à Chênée et voir ma fiancée; par la suite au moment des repas on invitait l'un ou l'autre soldat qui passait pour partager le menu du jour; ils se faisaient un plaisir de nous apporter café ou autres denrées disparues, on s'expliquait comme on pouvait mais la joie se lisait sur les visages. Les jours suivants la libération, commençait l'épuration, arrestations des collaborateurs, amenés au commissariat, les femmes tondues en public, les manteaux de fourrure déchirés et tout cela sous les rires, les applaudissements de la foule, et hélas aussi les coups. Il y a certainement eu des erreurs et des excès.

L'offensive des alliés continuait, le matériel de guerre arrivait en masse, jour et nuit à la gare de Longdoz, presque tous les camions conduits par des soldats noirs.

On croyait nos ennuis finis et nos larmes séchées, hélas le plus dur allait venir : les VI et les V2. Le premier de ces engins de mort, est tombé rue Grétry juste avant le passage à niveau (home) : trois maisons écroulées dans la rue avec morts, blessés et dégâts énormes aux alentours.

C'était hélas, le premier d'une sinistre série, aucun quartier de la ville et alentours ne fut épargné, j'ai moi-même vu des explosions au loin, c'était effrayant et démoralisant. Au début, cette saloperie d'engin, n'arrivait que la nuit tombée, c'était une sorte de petit avion avec le feu au derrière, passait avec le bruit d'une grosse moto; à court de carburant calculé pour la distance à accomplir, il tombait, piquant du nez, mais souvent, car on suivait sa chute, il changeait de direction; surtout la nuit c'était horrible. Plus tard, avec les rampes de lancement mobiles, nous en fûmes arrosées la journée, il y en eut certains jours, plus de trente, à exploser sur la ville et alentours. Passant un jour sur le pont provisoire (Kennedy), j'ai eu juste le temps de me plaquer au sol et voir passer au-dessus de moi et exploser l'engin de mort sur la colline de la citadelle et être soulevé de vingt centimètres par le souffle.

Certains n'explosaient pas et restaient figés, fumants, dans les jardins ou les ruines, c'était la panique. La population et les secours se rendaient sur place; j'ai vu passer des charrettes remplies de morts empilés, avec mon frère aîné médecin, nous sommes allés plusieurs fois sur les lieux des explosions; que d'horreurs et malheurs avons-nous vu hélas.

Liège, je pense ne reçut que des VI; Anvers des V2, plus rapides que le son, on ne les entendait pas venir.

Le travail continuait malgré tout, il fallait bien, mon père faisait le guet dans la cour pour entendre l'arrivée du VI, nous, à l'atelier avec le travail et le bruit des machines on n'entendait rien; à chaque alerte, on descendait dans la cave; avec celui tombé rue Douffet plus un carreau, ni vitrine, ni volet dans la maison, j'ai juste eu le temps d'atterrir dans la cave et de recevoir dans mes bras un ouvrier, la porte de la cave arrachée du mur; le quartier de Longdoz fut un peu préservé mais reçut sa part comme partout dans l'agglomération. Les carreaux des maisons étaient remplacés par des tôles, chaque fois qu'elles étaient arrachées, on les reclouait. Une bonne nouvelle tomba un jour au poste anglais: la défaite allemande à Stalingrad.

Puis, ce fut la dernière offensive allemande Von Rundstedt dans les Ardennes le 16/1211944, vers Anvers et Bruxelles, par un temps épouvantable et la surprise aidant, les Allemands avec pas mal d'atrocités progressent jusque Stavelot; certains au mépris des accords internationaux, parlant Anglais et vêtus d'uniformes pris aux prisonniers américains s'infiltrèrent dans les lignes, y semant le trouble et la méfiance. Saint-Vith, presque complètement détruite, des soldats et blessés américains exécutés par les SS. Des villes comme Houffalize, Laroche subirent des dégâts énormes, Bastogne encerclée, il y eut là-bas et les environs 4000 tués, rien que dans l'armée américaine.

La victoire change de camp.

La paix, les fleurs et les baisers.

Le beau temps remit les choses en place; l'aviation alliée, maître du ciel, put entrer en action et le général Patton dirige ses blindés de Metz sur les Ardennes, l'offensive est brisée en janvier 1945, c'était cette fois le commencement de la fin. Après un raid allemand de la Luftwaffe sur les aérodromes alliés du nord de la France, où plusieurs centaines d'avions furent détruits, 200 avions allemands en survolant par erreur une zone interdite de fabrication et lancement de V2, au retour furent abattus par leur propre DCA, on apprit cela plus tard évidemment !...

Peu à peu, les Allemands s'essoufflèrent enfin et pour l'offensive finale du passage du Rhin, les barges de débarquement et matériel de toutes sortes défilèrent, arrivant à la gare. Cela n'arrêtait pas.
Les nouvelles devenaient plus précises, dans les maisons avec la radio, les cartes déployées, l'on marquait avec des épingles l'avance alliée. Il fallut encore pas mal de temps et de désolations pour faire mettre à genoux l'Allemagne en ruines et encerclée de l'autre côté par les Russes. Trois vieillards Roosevelt (mourant), Churchill et Staline se partageaient le monde à Yalta.

Au fur et à mesure de l'avance alliée en Allemagne, nos prisonniers politiques, nos soldats, les déportés, du moins les survivants, rentraient au pays, c'était effrayant de voir ces femmes et hommes : de vrais squelettes ambulants en tenue de bagnards, le monde découvrait enfin la vérité sur les camps de concentration et toutes les horreurs qui s'y sont déroulées.

Le Japon continua encore quelques mois à se défendre; les Américains au prix de très lourdes pertes devant reconquérir toutes les îles une à une, de terribles combats navals dans le Pacifique.

Pour en finir, après l'explosion de deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki devant l'ampleur du désastre, le Japon capitula à son tour. Je vois encore la capitulation sur un navire de guerre américain et le Général Mac Arthur refuser la main de l'officier japonais qui allait signer les documents. Ma vie d'homme allait pouvoir enfin commencer, car pour comprendre le mot liberté, il faut avoir connu le mot oppression.

J'avais commencé à compiler une partie de ses écrits le 25 mars 1992 pour le centenaire, je les ai complétées et terminés le 20 février 1995. Peut-être un jour cela intéressera un de mes fils. J'aurais aimé recevoir de mon père, un peu le récit de sa vie pour comparer les époques.

La paix, les fleurs et les baisers.
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